21
Le maître des lieux se précipita vers la balustrade pour voir ce qui se passait en contrebas.
— Cassandra est là, murmura son ami dans son dos, énonçant l’évidence.
En effet, Cassandra avait plaqué Emma à terre, où elle cherchait à l’étrangler. Lachlain attrapa la balustrade à deux mains, prêt à bondir, mais Bowen le tira en arrière.
— Ne te mêle pas de ça ! protesta son suzerain. Cass est en train de lui faire du mal. Je vais la tuer !
Comme la poigne qui le retenait ne faiblissait pas, il assena un coup de poing – de la main gauche, la plus faible, par habitude. Bowen, qui s’y attendait, l’attrapa par le poignet et lui tordit le bras dans le dos.
— Tu te sens toujours coupable de m’avoir assommé quand on était gamins, hein ? Je te l’ai dit et répété cent fois : j’ai fini par me réveiller, d’accord ? Maintenant, regarde, et tâche de faire un peu plus confiance que ça à ton âme sœur.
Lachlain regarda donc de tous ses yeux – en se préparant à balancer son coude libre en pleine figure à son ami d’enfance. Emma assener un grand coup de tête dans le nez de Cassandra. Il hésita.
— Ton Emmaline n’est même pas essoufflée. Et si elle ne règle, pas la question maintenant, les autres passeront leur temps à la provoquer. Tu oublies que nous sommes une race de brutes qui ne révèrent que la force.
Bowen avait craché les derniers mots, comme s’il ne faisait que citer quelqu’un d’autre.
— Je m’en fiche, bordel. Elle est petite, elle a été blessée la nuit dernière…
— Elle est maligne… et entraînée, affirma Bowen avec calme en lâchant enfin prise.
Emma venait en effet d’écarter son adversaire, qu’elle frappa aussitôt à la poitrine, des deux pieds – un mouvement si rapide qu’il en fut invisible. Cassandra s’envola littéralement. Lachlain secoua la tête, incrédule.
Pendant ce temps, Bowen s’était servi un scotch et avait approché des fauteuils de la balustrade.
La Lycae écarta les cheveux qui lui tombaient dans la figure.
— Tu vas me le payer, espèce de sangsue !
Emma la gratifia d’un coup d’œil ennuyé en se remettant sur ses pieds avec grâce ; mais ses yeux avaient viré à l’argenté.
— Vas-y, tente ta chance.
Bowen avait raison : elle n’était même pas essoufflée.
Cassandra releva le défi en se jetant sur elle et profita de sa haute taille pour la plaquer à terre, avant de lui assener un bon coup de poing sur la bouche.
Lachlain poussa un rugissement de fureur, bondit par-dessus la balustrade, mais n’eut pas le temps d’intervenir : déjà, Emma balafrait de ses griffes le ventre de son assaillante, se dégageait violemment, se redressait puis frappait de toutes ses forces, du dos de la main.
Ce coup-ci, il le connaissait.
Cassandra s’écrasa contre le mur du fond. Une tapisserie se détacha et lui tomba dessus. Elle ne se releva pas.
— Il ne manquait qu’une chose à ce match : un ring plein de boue ! lança Bowen, qui venait d’atterrir derrière son ami.
Lorsque Lachlain s’approcha d’Emma et la prit par les épaules, elle s’écarta brusquement en lui envoyant par réflexe un coup de poing qui le cueillit à l’œil droit. Il serra les dents, s’ébroua, puis l’examina des pieds à la tête, de crainte qu’elle n’ait été blessée. Oui… elle avait la lèvre inférieure fendue. Il fit la grimace et tira sa chemise de son pantalon pour tapoter la plaie, mais la jeune femme émit un long sifflement bas.
— Ça fait mal ? s’inquiéta-t-il.
De son côté, Bowen aidait Cassandra à se relever.
— Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? rugit Lachlain en se tournant vers elle, avant de revenir aussitôt à Emma. Je te présente toutes mes excuses.
Cette déclaration lui valut un regard noir.
— C’est ça, oui, mets donc un dollar dans la tirelire à gros mots. Ou l’équivalent local.
Elle pressa prudemment le dos de sa main contre sa lèvre en sang.
— Lachlain, tu es de retour ! s’écria Cassandra en se précipitant vers lui. (Le coup d’œil qu’il lui adressa la fit ralentir, visiblement déconcertée, puis enfin s’arrêter.) Qu’est-ce qui se passe ? Et qui est cette vampire, qui fait comme chez elle à Kinevane ?
Emma considéra Lachlain d’un air interrogateur : visiblement, elle avait hâte de savoir ce qu’il allait pouvoir répondre à une question pareille.
— C’est une honorable invitée, et j’entends qu’elle soit traitée avec tous les égards qui lui sont dus.
Cassandra en demeura bouche bée, tandis que Bowen s’approchait d’Emma.
— Je me présente : Bowen, un ami d’enfance de Lachlain. Il m’a parlé de vous tout l’après-midi. Ravi de faire votre connaissance.
Elle l’examina d’un œil circonspect, la tête inclinée de côté.
— Et depuis quand les sangsues sont-elles d’honorables invitées ? réussit enfin à lâcher Cassandra.
Son souverain l’attrapa par le coude.
— Je t’interdis de la traiter de sangsue !
Sous l’insulte, les yeux d’Emma avaient de nouveau viré à l’argenté.
— Allez tous vous faire foutre, marmonna-t-elle en se dirigeant vers la porte. Je rentre chez moi.
Après un dernier regard menaçant à Cassandra, Lachlain emboîta le pas à sa promise, juste à temps pour la voir sursauter en découvrant dans un miroir son propre reflet.
Elle se rejeta en arrière.
Sa chevelure ébouriffée dominait des yeux d’argent tournoyant, aussi scintillants que le mercure. Un filet de sang lui coulait sur le menton. Ses crocs semblaient dangereusement aiguisés, malgré leur taille réduite. Une larme avait coulé au coin de son œil, dessinant sur sa joue une traînée rose. Elle se toucha le visage, l’air incrédule, puis laissa échapper un petit rire amer. Son regard croisa celui de Lachlain.
Il savait très bien ce qu’elle pensait et s’en désolait, même s’il y trouvait son avantage.
Elle se disait qu’elle était un monstre. Comme lui.
— Je n’en ai pas terminé avec toi, vampire, lança Cassandra.
Emma fit volte-face, si menaçante qu’il se sentit glacé.
— Certainement pas, en effet, siffla-t-elle avant de s’éloigner d’un pas décidé.
Il fallut un moment à Lachlain pour être capable de s’exprimer.
— Règle les choses avec Cass, Bowen, demanda-t-il en suivant sa promise.
Elle avait une tête à faire peur !
En se lavant les mains et la figure devant le miroir de la salle de bains, Emma remarqua que, si ses crocs s’étaient rétractés, ses yeux ne reprenaient pas leur teinte normale et ses lèvres restaient plus rouges que d’habitude.
À faire peur… Comme la chose qu’elle avait vue dans la glace, au rez-de-chaussée, un monstre sorti tout droit d’un film d’horreur. Lorsqu’elle s’était palpé le visage, elle s’était aperçue qu’elle avait du sang sur les ongles, à cause du coup de griffes qu’elle avait assené à la Lycae.
Les crocs et les griffes rouges… Me voilà telle qu’en moi-même…
Elle évoqua Lachlain transformé, mais, cette fois, l’image ne la fit pas frissonner. Tout n’était-il pas relatif ?
On frappa. Il l’avait suivie, bien sûr. Elle aurait aimé qu’il prenne au moins le temps de donner quelques explications aux deux autres, mais il les avait visiblement laissés tomber pour venir lui parler à elle.
Néanmoins…
— Va-t-en !
— Je sais que tu as envie d’intimité, mais…
— Va-t-en ! Je ne veux pas que tu me voies dans cet état-là…
La porte s’ouvrit aussitôt en grand. Évidemment.
Emma ferma les yeux.
— Qu’est-ce que je viens de dire ?
— Je comprends que tu aies besoin d’intimité, mais ça n’arrangera rien de me cacher ton visage.
Lachlain la fit pivoter vers lui.
Elle se sentait d’autant plus mortifiée qu’il avait conscience de sa honte. Les yeux de ses tantes changeaient de couleur de la même manière, mais chez elles, cela avait l’air parfaitement normal : cela allait de soi en cas d’émotion violente.
— Ouvre les yeux. (Elle se garda bien d’obéir.) Ce n’est pas la première fois que je les vois comme ça.
Cette fois, elle les ouvrit. Écarquillés.
— Ce n’est pas vrai ! Quand… ? (L’expression de Lachlain lui apprit aussitôt qu’ils étaient toujours de cette couleur monstrueuse.) Tu ne te rends pas compte de la manière dont tu me regardes ! Voilà ce que je voulais éviter ! Quand est-ce que tu les as vus dans cet état-là ?
— Chaque fois que tu bois à mes veines. Et là, je te regarde de cette manière parce que, lorsque tes yeux prennent cette teinte-là, j’ai envie de toi.
— Je ne te crois pas…
Il lui posa la main sur son érection.
Le souvenir de la nuit où elle l’avait chevauché, à l’hôtel, s’épanouit dans l’esprit d’Emma, dont les doigts s’incurvèrent autour de la hampe rigide, prêts à la caresser… Elle retira violemment la main.
— Mais ils sont bizarres, insista-t-elle, incapable de le regarder en face. Et je n’ai aucun contrôle là-dessus.
— Moi, je les trouve beaux.
Ah, le salaud ! Pourquoi fallait-il qu’il soit aussi indulgent ?
— Eh bien moi, je n’ai pas trouvé ton changement à toi séduisant du tout.
— Je sais. Je peux vivre avec si tu le peux, toi.
— Génial. Non seulement tu as réussi à venir à bout de tes a priori à mon sujet, mais en plus, maintenant, tu acceptes que je ne t’accepte pas. Tu veux vraiment que je me sente comme la dernière des crétines ?
— Jamais de la vie. Je veux juste te dire que je suis désolé de ce qui s’est produit.
— Moi aussi.
Elle avait fait sa fête à cette Lycae, d’accord, mais cela ne signifiait pas qu’elle avait pris son pied. D’ailleurs, elle n’était pas sûre d’en vouloir à Cassandra de l’avoir attaquée. Si elle avait elle-même surpris une vampire en train de se balader dans le manoir du bayou en admirant les tableaux, elle lui serait tombée dessus aussi. Enfin bon, ça n’empêchait pas Cassandra d’être une salope.
L’incident avait secoué Emma. On aurait dit que l’entraînement auquel ses tantes l’avaient contrainte était brutalement passé au premier plan pour s’intégrer – enfin – à sa personnalité. Et elle avait gagné ! Face à une terrifiante Lycae !
N’empêche… elle n’oubliait pas la première pensée à lui avoir traversé l’esprit, quand elle s’était soudain retrouvée au tapis, devant une adversaire redoutable.
Elle avait souhaité la présence de Lachlain.
Il volerait toujours à son secours, elle le savait.
À cet instant précis, il repoussa en arrière une de ses longues mèches bouclées.
— Oh, tu t’es coupé ta pauvre petite oreille. (Lorsqu’il se pencha pour embrasser l’oreille en question, Emma frissonna.) Et la lèvre. (Là aussi, il l’embrassa, puis lui caressa la joue ; elle n’arrivait pas à retrouver la conscience impérieuse qu’il ne devait pas la toucher.) Je ne lui pardonnerai jamais de t’avoir blessée.
— Tant mieux, commenta-t-elle, acerbe.
— Tu n’as même pas eu peur.
Visiblement, il était impressionné. Elle dut bien admettre, en son for intérieur, qu’elle trouvait presque aussi agréable de le voir se conduire comme si elle venait d’affronter l’Armageddon que de se faire dorloter et câliner.
— Qu’est-ce qui a bien pu te transformer à ce point ? Mon sang ?
Retour brutal à la réalité. Non mais, quel culot !
— Ça va, les chevilles qui enflent ? C’est juste que j’ai compris certaines choses sur moi-même. Après avoir survécu à des attaques de Lycae ininterrompues… (Il tressaillit.)… à un bain de soleil et à une tentative de dissection par un vampire, il a bien fallu que je me pose des questions. Genre : « C’est bon, là ? C’est fini ? La vie ne va pas m’en rajouter une couche ? Parce que si c’est réellement le pire et que je ne m’en porte pas plus mal… »
— Je vois. Les épreuves t’aident à trouver ta force.
Exact. Mais pourquoi fallait-il qu’il en ait l’air tellement fier ? Quand avait-il commencé à se conduire différemment avec elle ? Elle savait pourquoi elle avait changé, mais pas pourquoi il avait changé, lui.
— Tu t’es réveillée bien avant le crépuscule, tu t’en es rendu compte ? Je venais te voir lorsque Cass s’est mise à hurler.
Emma avait eu tout le temps de se doucher – et de se torturer à cause du curieux coup au cœur qu’elle avait ressenti en s’apercevant que, pour la première fois, il n’était pas là à son réveil.
— Je dors mal… dans ce lit.
— C’est pour ça que tu es allée sous l’escalier ?
Elle rougit. Sombre, étroit, quasi souterrain, le réduit lui avait plu, sur le moment. Il fallait dire qu’elle avait perdu la tête…
— Qui est cette fille ? interrogea-t-elle pour changer de sujet, alors qu’elle connaissait la réponse – depuis le début.
— Cassandra. Une amie, membre du clan.
— Une amie, c’est tout ?
— Bien sûr. Et ça ne tient qu’à un fil, depuis qu’elle t’a agressée.
— Tu me donnerais raison, à moi ? Alors que tu me connais depuis si peu de temps ?
Il soutint son regard.
— Je te donnerai toujours raison. Face à n’importe qui.
— Pourquoi ?
— Parce que je saurai que tu auras raison.
— Et l’autre, là ? Bowen ? Qu’est-ce qui lui est arrivé ?
Comme Lachlain fronçait les sourcils, Emma précisa :
— Il a l’air à l’article de la mort.
Avec ses cheveux d’un noir de jais et ses yeux de feu ambré, ce type aurait eu un succès fou… s’il n’avait pas été d’une maigreur de drogué.
— Il a perdu un être très cher.
— Oh, je suis désolée, dit-elle doucement. Quand cela ?
— Au début du XVIIIe siècle.
— Et il ne s’en est toujours pas remis ?
— Son état a empiré. (Lachlain posa le front contre le sien.) Telle est notre nature, Emma.
Il attendait quelque chose d’elle. Quelque chose de plus.
Il l’avait vue dans un état terrible et la désirait toujours. Cela ne l’avait même pas empêché de la suivre pour lui embrasser l’oreille et compatir à ses malheurs. Maintenant… ce mâle superbe, ce fantasme ambulant voulait quelque chose de plus. D’elle. Était-elle prête à le lui donner ? Telle qu’elle se sentait, pleine de courage et d’ardeur après sa première victoire, était-elle prête à courir le risque de l’accepter en elle et de voir la bête se réaffirmer en lui ?
À cet instant précis… peut-être.
— Dis-moi, Lachlain, si quelqu’un comme toi était… faisait l’amour à quelqu’un comme moi, est-ce qu’il pourrait être… précautionneux ? Aller lentement ?
Il se figea, tendu.
— Il pourrait même le jurer, Emma.
— Il ne… se transformerait pas ?
— Non, pas cette nuit.
Sa voix basse, grondante, la fit frissonner. Elle sentit ses mamelons durcir. Elle avait besoin de lui… envie de lui… alors qu’elle savait très bien ce qu’il était.
Lorsqu’elle leva la main pour lui caresser doucement le visage, il la considéra d’un air incrédule puis ses paupières se fermèrent une seconde, de plaisir.
— Je t’ai frappé, murmura-t-elle.
— C’est vrai, acquiesça-t-il, impassible.
— Tu ne vas pas… te venger ?
Il gémit, avant de prendre sa bouche en la soulevant de terre pour la poser sur le meuble du lavabo et se presser entre ses jambes. Déjà, il refermait les mains sur ses fesses afin de la plaquer contre une érection de fer.
Quand elle laissa échapper un petit halètement, la langue de Lachlain chercha la sienne. Elles se rencontrèrent. Emma avait envie qu’il l’embrasse profondément, comme à l’hôtel, la première nuit… sauf que là, c’était encore mieux. Il se montrait à la fois si exigeant et si maître de lui qu’elle en fondait littéralement, avide, les hanches déjà en mouvement contre sa hampe.
Il gronda tout bas puis chuchota, sans s’écarter :
— Je ne supporte pas de te voir souffrir. Je ne laisserai plus personne te faire du mal.
Elle se pencha en avant pour l’embrasser, les mains enfouies dans son épaisse chevelure brune. Sans même s’en rendre compte, elle avait noué les jambes autour de sa taille, pendant qu’il lui palpait le derrière en la serrant dans ses bras à l’écraser.
Lorsqu’elle chercha à lui déboutonner sa chemise, les doigts tremblants, elle ne put retenir un petit gémissement de frustration. Aussitôt, il tira sur le tissu, qu’il déchira pour s’en débarrasser. Emma l’aurait volontiers remercié d’exposer ces muscles qui se contractaient et se détendaient sous ses caresses. De plus en plus excitée, elle glissa sans vergogne la main sous la ceinture de son pantalon pour s’emparer de son érection.
Il rejeta la tête en arrière avec un rugissement, lui remonta brusquement le pull et le soutien-gorge, puis promena le nez sur ses seins. Elle frissonna sous son souffle brûlant. Quand il se mit à lui sucer les mamelons, elle crut mourir de plaisir.
Au diable l’avenir, la peur et tout ce qui s’ensuivait.
— Je te veux, souffla-t-elle en caressant du pouce le gland humide dont elle s’était saisie. (Son compagnon referma doucement les dents sur le mamelon qu’il titillait de la langue.) Tout entier ! ajouta-t-elle dans un cri.
Il gémit puis se redressa pour la regarder, incrédule.
— Tu ne peux pas savoir comme je suis heureux de t’entendre dire une chose pareille.
De sa main libre, elle ouvrit sa propre braguette, se débarrassa de ses bottes puis attrapa le bas de son jean, dont elle se dépouilla d’un seul mouvement fluide.
Alors il la couvrit de baisers – peut-être de peur qu’elle ne perde courage – pendant qu’elle se cambrait en promenant la main sur sa hampe, d’une taille prodigieuse. Frissonnant, il lui souleva les jambes pour lui poser les pieds à plat sur le meuble. Lorsqu’il lui écarta les genoux et tira sa petite culotte de côté, il ne put étouffer le gémissement rauque qui monta en lui à la vue de la chair dévoilée.
Étonnamment, le regard avide posé sur son intimité ne la gêna en rien. Au contraire, elle se mit à trembler, de plus en plus excitée.
— Jai attendu tellement longtemps, balbutia Lachlain d’une voix brisée. Je n’arrive pas à y croire.
Il embrassa Emma si passionnément qu’elle en resta haletante, à demi évanouie, aspira un de ses mamelons, puis l’autre, les titilla de la langue. Le tremblement de la jeune femme redoubla, tandis que sa poigne se resserrait sur l’énorme verge. Elle avait tout le corps douloureux à force d’attendre le soulagement. Pourquoi ne la caressait-il pas ? Ne la pénétrait-il pas ? Pourquoi lui avait-elle demandé d’aller lentement ?
Elle se sentait sur le fil du rasoir, prête à goûter au plaisir inconnu qu’elle avait si souvent imaginé.
— Caresse-moi, s’il te plaît, implora-t-elle, alors que ses genoux s’écartaient encore plus. Là. Embrasse-moi. Caresse-moi. Tout ce que tu voudras…
— Oui, râla-t-il. Tout, absolument tout. Ce sera aussi bon pour toi que pour moi, tu verras. (Il passa les doigts sur son entrejambe, et elle émit un cri perçant.) Tu es trempée. On dirait de la soie.
Aller, retour… lentement. La chair d’Emma palpitait dans son sillage, de plus en plus mouillée. Puis un doigt plongea en elle, profond, sans faire de quartier comme la fois précédente, obligeant son corps à l’accepter. Un gémissement de plaisir lui échappa, tandis que son poing montait et descendait sur l’érection de fer.
— Pourquoi n’as-tu encore jamais fait l’amour ? lui gronda tout bas Lachlain à l’oreille – avant d’inspirer dans un sifflement lorsqu’elle empoigna ses testicules pesants.
Il savait donc. Cela se sentait ?
— Il n’y a personne… d’adapté à quelqu’un comme moi… personne qui… (Elle chercha ses mots pour dire « personne que ma famille ne tuerait pas ».) Personne…
— Qui ne soit pas disqualifié.
Les lèvres de Lachlain s’incurvèrent. Un sourire malicieux. Accompagné d’une caresse lente, brûlante.
— Mmm, mmm.
— Heureusement que nous nous sommes trouvés. (Il l’attrapa par la nuque pour approcher son visage du sien, tout en enfonçant davantage en elle le doigt de l’autre main, dont le pouce lui massait à présent le clitoris.) Regarde-moi.
Les yeux d’Emma s’ouvrirent, papillotant.
— Tu es mienne, râla-t-il, haletant. Tu comprends ce que ça veut dire ?
Une autre poussée. Cette fois, les hanches d’Emma se soulevèrent en réponse ; son sexe se plaqua contre la paume de son compagnon. Il fallait que cela cesse… qu’il aille plus profond.
— Tu comprends ? répéta-t-il. À jamais.
Elle fronça les sourcils.
— Tu as quelqu’un d’autre…
— C’est toi. Depuis toujours.
On aurait dit une promesse, un… un serment.
— Ce n’est pas comme un camarade communiste, alors ? murmura-t-elle bêtement.
Il secoua la tête, tout en continuant à la caresser. Voilà qui n’aidait pas la jeune femme à intégrer ce qu’il racontait.
— M… mais tu m’as dit…
Pourquoi fallait-il qu’il lui annonce cela maintenant en décrivant sans hâte avec le pouce des cercles parfaits ? Elle comprenait vaguement de quoi il était question, mais cela ne l’empêchait pas de vouloir qu’il continue à l’explorer avec les doigts, qu’il la pénètre jusqu’au bout, entièrement. Pourtant…
— Tu… tu m’as menti ?
Il hésita avant d’admettre :
— Oui, je t’ai menti.
Elle émit un grognement de frustration.
— Pourquoi est-ce que tu m’en parles maintenant ?
— Parce que cette nuit, notre histoire commence. Avec la vérité entre nous.
— Notre histoire ? répéta-t-elle, sidérée. Qu’est-ce que tu veux dire par là ? Notre vie à deux ou quelque chose de ce genre ?
Comme il ne la contredisait pas, elle se raidit. Vivre à deux. Pour un Lycae, cela signifiait à jamais – expression qui, dans le cas des immortels, était à prendre au pied de la lettre. Emma se tortilla pour s’éloigner de lui en remettant sa culotte en place et en ramenant les jambes sous elle.
— Tu n’as jamais eu l’intention de me laisser m’en aller.
Elle rabaissa son pull et son soutien-gorge. Le contact du tissu sur ses mamelons la fit frissonner.
— Non, c’est vrai. Il fallait que je te garde avec moi. Je comptais te persuader de rester, d’ici là.
— Il fallait.
Son corps lui semblait inconfortable, étranger. Le désir inassouvi le rendait brûlant.
— J’ai attendu des années et des années celle qui m’était destinée, à moi et à nul autre. La seule, l’unique. Cette femme, Emma, c’est toi.
— Mais tu es complètement fou ! riposta-t-elle, furieuse de ressentir une véritable détresse physique du seul fait qu’elle s’était écartée de lui. Je ne suis pas une femme. Je n’en suis pas une, un point c’est tout.
— Tu ne vas pas tarder à comprendre que tu m’as été donnée parmi toutes les autres. Que je t’ai cherchée sans répit ma vie durant. (La voix de Lachlain se fit plus basse, plus grave.) Et j’ai vécu très longtemps…
— Je suis une vam… (Elle se tapota la poitrine.)… pire. Une vampire. Tu as oublié, peut-être ?
— Moi aussi, ça m’a surpris. J’ai eu du mal à l’accepter.
— Sans blague ? Je ne m’en serais jamais doutée ! Mais si ça se trouve, c’est maintenant que tu te trompes. (Emma était au désespoir.) Comment peux-tu en être sûr ?
Il se pencha sur elle.
— J’ai senti ton odeur de… de loin. Une odeur merveilleuse, qui m’a apaisé. Et quand j’ai vu tes yeux pour la première fois, je t’ai reconnue. Ensuite, je t’ai goûtée et… (Il frissonna violemment, tandis que sa voix se faisait gutturale.) C’est quelque chose d’indescriptible, mais je peux te montrer, si tu veux bien me laisser faire.
— Je ne peux pas.
Coincée contre le miroir derrière elle, elle essaya de changer de position, dans l’espoir de se sentir moins vulnérable. Ce fut avec un véritable écœurement qu’elle constata à quel point le frisson de Lachlain l’avait fait fondre, une fois de plus.
L’horreur lui apparaissait dans toute son étendue. Les soupçons qu’elle avait nourris, mais combattus, se révélaient fondés. Comment avait-elle pu être assez idiote… Elle se refréna aussitôt. Non, l’idée avait été facile à écarter, parce que quelqu’un comme elle, en partie vampire, ne pouvait pas être l’âme sœur d’un Lycae. Une vampire et un Lycae, liés par le destin ?
Et puis il lui avait menti d’une manière très convaincante, très humiliante…
— Et qu’est-ce que tu comptais faire de moi ?
Elle feinta sur la droite puis se baissa vers la gauche pour se glisser sous les grands bras musclés en attrapant son jean. Bien sûr, il la laissa faire. Tremblante de rage, elle se tourna vers lui.
— Honnêtement ? Suis-je censée, disons, vivre avec la meute ? La Lycae de tout à l’heure me réduira en pièces.
— Personne ne te fera jamais plus le moindre mal, qu’il soit ou non de mon clan. Mais il n’est pas question que tu vives parmi les miens. Je suis leur roi. Toi et moi, nous sommes ici chez nous, à Kinevane.
— Waouh, j’ai décroché la timbale ! Une famille royale européenne… Vite, que quelqu’un appelle People !
Elle sortit en coup de vent de la salle de bains, puis se tortilla pour enfiler au plus vite son pantalon.
Que n’aurait-elle pas donné pour être capable de glisser, de disparaître sans laisser de trace. Elle détestait qu’on lui mente. Parce qu’elle ne pouvait pas en faire autant.
— « Mais non, Emmaline, tu n’es pas mon âme sœur, reprit-elle en imitant l’accent écossais. Rien d’aussi sérieux, même si je te mettrais volontiers dans mon lit. Tu m’intéresses, oui, mais seulement pour ça. » Le tout sur un ton d’une condescendance !
Lachlain la suivit et l’attrapa par le bras pour l’obliger à pivoter vers lui.
— Je n’avais pas envie de te mentir, mais ce qui est fait est fait. J’aimerais au moins que tu écoutes ce que j’ai à dire.
— Et moi, j’aimerais rentrer chez moi voir ma famille.
Reprendre mes esprits et demander à mes tantes pourquoi je rêve tes souvenirs, ajouta-t-elle en pensée. Pourquoi je me sens en permanence aussi perdue, aussi bouleversée, comme si quelqu’un m’avait jeté un sortilège.
— Tu ne veux donc même pas envisager que ça puisse être vrai ? Tu me quitterais, en sachant ce que nous pourrions être l’un pour l’autre ?
Elle fronça les sourcils, frappée par une brusque idée.
— Tu as dit avoir vécu très longtemps… mais quel âge as-tu, au fait ? Six cents ans ? Sept cents ?
— Quelle importance ?
Elle se débarrassa de la main qui lui tenait le bras.
— Quel… âge… as-tu ?
— Environ mille deux cents ans.
— Par Freyja ! s’étrangla-t-elle. Tu sais ce que ça veut dire, aimer les jeunettes ? Moi, je vais sur mes soixante et onze ans. Ça me scie !
— Je savais que tu aurais du mal à l’accepter, mais tu t’y feras, avec le temps.
— Je me ferai à quoi ? À la vie à l’étranger, loin de ma famille et de mes amis, avec un Lycae déséquilibré qui n’arrête pas de me mentir ?
— Je ne te mentirai jamais plus, mais ta place est ici, près de moi.
— Ici. Dans le nord de l’Écosse. Où c’est bientôt l’été. Seigneur. Les jours sont longs en été, non ?
— J’y ai déjà pensé. Nous irons où tu voudras pour que tu te sentes bien. En hiver, de toute manière, les nuits rallongent. Tu crois vraiment que ça me dérangerait d’aller à un endroit où je pourrais passer plus de temps avec toi ?
— Tu as pensé à tout, c’est sûr. Tu vas m’obliger à dire oui, que ça me plaise ou non.
— Oui ? (Il fronça les sourcils.) Comme quand on se marie ? C’est une histoire bien plus sérieuse qu’un mariage.
— Je ne vois pas trop la différence…
— Lorsqu’on est marié, on peut divorcer.
La réplique la laissa une seconde bouche bée.
— Ma foi, ça ouvre de sacrées perspectives. Pas moyen de changer… pendant toute l’éternité. L’idée ne t’est jamais venue que j’aimerais peut-être prendre les choses comme elles se présentent ? Je suis jeune, moi, et cette histoire – pour reprendre ta propre expression –, c’est la totale. Littéralement. Tu me demandes… non, tu exiges de moi tout ce que j’ai à donner, alors qu’on s’est rencontrés la semaine dernière. Toi, tu as peut-être une sorte de certitude cosmique à mon sujet, mais moi, je ne connais pas ce genre de choses, figure-toi.
— Si je te le demande, est-ce que ça y changera quoi que ce soit ? Est-ce que tu resteras ici avec moi ?
— Non… mais je ne dis pas qu’on ne se reverra pas. Je vais rentrer à la maison, et après, on va y aller lentement, en apprenant à se connaître.
Il ferma les yeux. Quand il les rouvrit, ils brillaient de détresse. Puis ses traits se durcirent.
— Je ne peux pas permettre une chose pareille. Tu vas rester jusqu’à ce que tu répondes différemment à la question.
— Tu vas me séparer de ma famille ?
Il l’attrapa de nouveau par le bras, brutalement, cette fois.
— Tu ne peux pas savoir ce que je suis capable de faire pour te garder, Emma. Ça… et bien plus encore. Je ferai tout ce qu’il faudra.
— Tu n’arriveras pas à me retenir prisonnière.
Étonnamment, cette affirmation le mit dans une colère noire. Il se raidit, tandis que ses yeux viraient brièvement au bleu.
— Non, c’est vrai. Tu es libre de partir. Mais tu n’as pas de voiture. Tu ne peux demander à personne de venir te chercher. Tu es à cent cinquante kilomètres de la ville la plus proche, qui n’est pratiquement habitée que par des Lycae, alors je ne te conseille pas de t’en aller à pied.
À la porte, il se retourna :
— Je n’arriverai pas à te retenir prisonnière. Le soleil, si.